Être parent aujourd’hui. Interview avec Aurore Cubier, coach parental.

À l’arrivée de son deuxième enfant, Aurore Cubier, coach consultante en éducation certifiée Filliozat et thérapeute EMDR, a arrêté de chercher la crèche parfaite ou le boulot idéal. Après des années du travail en crèche, elle tombait constamment sur les mêmes problématiques : une véritable méconnaissance de l’enfant, un cadre et une pression qui ne permettait pas de traiter ni le personnel ni les enfants comme il fallait. Et si la solution n’était-elle pas de mieux accompagner les parents et les professionnels à changer leur pratiques pour qu’elles soient plus respectueuses de l’enfant ?

Aurore a ainsi rejoint le formation d’Isabelle Filliozat : “Je suis convaincue que si on veut changer notre monde, il faut commencer par l’enfant.” Et le rôle du parent dans cette histoire ? Ici, elle met en contexte comment la parentalité en 2024 est devenue plus complexe, mais pas moins heureuse…

Être parent est un des rôles les plus beaux et les plus difficiles. Est-ce encore plus difficile pour les parents d'aujourd'hui qu'à l'époque de nos propres parents ?

Avant de penser à l’époque de nos parents, on peut même remonter à il y a 100 ans,voire même il y a 400 ans où les choses étaient beaucoup plus simples. C’était une époque où on ne s’attachait pas aux enfants. Il y avait un tel risque de mortalité infantile qu’on se concentrait juste sur leur survie. À l’époque de nos parents on commençait à avoir les premières pistes, mais dès que l’enfant était nourri, lavé et éduqué, on considérait avoir déjà fait énormément. Aujourd’hui, on demande beaucoup plus aux parents pour la simple raison que la recherche a beaucoup avancé. On a une véritable connaissance sur le cerveau, et une telle notion de l’impact de notre éducation sur le cerveau, même s’il reste un organe à découvrir.

Il y a 100 ans, on vivait principalement en tribu, on était rarement seul avec nos enfants. On avait du relais, de l’aide. Maintenant chacun est chez soi et souvent les deux parents travaillent, on est confronté aux enjeux colossaux entre le devoir de donner la meilleure éducation à nos enfants et de répondre aussi à nos besoins financiers et sociétaux. Tout cela est plus complexe et il s'ajoute que nous sentons plus de culpabilité qu’à l’époque parce que nous avons plus de connaissances. Et la connaissance a pour conséquence de vouloir améliorer les choses.

S’occuper de soi, prendre du temps pour soi. Pourquoi avons-nous l’impression aujourd’hui que nos mères ne sentaient pas le besoin de ce temps dédié rien qu’à elles ?

Aujourd’hui, nous avons peu de souvenirs de nos parents pendant notre petite enfance. Avant l’âge de 7 ans, un enfant est auto-centré. Pendant que vous allez vous poser lire un livre, il est juste fixé sur ce qu’il fait et ne donne aucune attention à vous.

Il sera incapable de dire ce que vous étiez en train de faire et c’est grâce à cette auto-protection. Nos mamans étaient souvent mieux entourées (par leur mère, une soeur ou une tante à côté qui prenaient le relais) et n’avaient pas le besoin de travailler. Elles se nourrissaient d’une autre manière. Elles n’étaient pas sous une pression financière ou ont dû faire face aux prix immobiliers grimpants. Notre monde a tellement évolué. On demande tellement aux femmes que nous avons forcément besoin de nous occuper de nous.

Peut-être qu'à l'époque de nos grand-mères on apprenait mieux à prendre du plaisir dans les petites tâches du quotidien (même si le but était de mieux servir son mari).

Quant à la génération des années 60, elle a grandi dans une époque où on laissait pleurer les bébés dans leurs berceaux et on leur apprenait à nier tous leurs besoins. Il n’est donc pas surprenant que cette génération ne s’occupe pas d’elle -

souvent ce sont des gens avec des problèmes de dos, des petits maux ou qui remplacent certaines émotions essentielles par d’autres (“Ne pleure pas !” - par conséquent l’enfant était souvent plus en colère, qui n’ont jamais appris à vivre pour eux, mais uniquement pour les autres.

Quels sont les difficultés principales pour lesquelles les parents s’adressent à vous ?

Nous avons perdu un peu cette connexion à nous-mêmes parce que nous l’avons appris depuis tout petit. Nous sortons d’une époque où l’enfant devait être dompté parce que c’est un être de pulsion et si on ne la traite pas, on va faire un enfant roi. Mais réellement, combien d’adultes ne savent même pas écouter leurs besoins essentiels ? On les a dressés dès leur plus jeune âge en leur imposant d’aller aux toilettes quand c’était le moment et pas quand ils avaient envie. Bien autour de leurs 3 ans, on demandait qu’ils restent assis, alors que le besoin principal de l’humain à cet âge est de bouger et d’être en mouvement.

Quant aux difficultés, j’essaie d’expliquer aux parents que dès la grossesse, ils ont toutes les ressources pour choisir leur parentalité. Les parents sont totalement responsables de leur parentalité et ils ne devraient jamais la subir. Ils devraient décider en couple quel parent ils voudraient être sans forcément être le même parent. Néanmoins, il devrait y avoir une ligne de conduite commune.

Les parents ont souvent l’impression d’échouer leur parentalité dès la naissance : à 3 mois on leur met la pression que l’enfant se tourne ou pas, à 6 mois s’il est bien assis. Je reçois des appels de mamans en pleurs parce qu’on leur fait comprendre qu’elles n’ont pas assez de lait et ainsi ne savent pas bien s’occuper de leurs bébés. Le bébé n’a même pas 3 jours et déjà une maman a l’impression d’avoir échoué !

Heureusement, la plupart des parents font comme ils le sentent. Si votre enfant renverse un verre d’eau, votre première réaction n’est pas de lui donner une claque. Vous allez plutôt nettoyer et lui dire que ce n’est pas grave. L’intuition première, elle est toujours là.

Il s’agit aussi de l’intuition première quand dans la rue vous n’allez pas laisser l’enfant être embrassé par n’importe qui. Même si la réaction des gens sera de vous dire que votre enfant est peut-être malpoli et qu’il est obligé de faire un effort.

L’éducation positive c’est suivre cet instinct premier et de se connecter à son intuition.

Tous les parents font ce genre d'expérience et pourtant rien ne change. Que faire ?

Il faudrait investir véritablement dans la petite enfance par des moyens financiers. Les puéricultrices dans les maternités ont 15 minutes pour donner un bain et il faut que cela rentre dans un timing horaire.

Sauf qu’au moment où elles arrivent, ce n’était pas le bon moment pour le bébé. Et les parents ne sont pas censés rentrer chez eux sans avoir donné le bain. La pression qu’on met sur les parents est colossale. Or, à ce moment-là ils ont juste besoin d’être chouchouté. Malheureusement, ces instants vont se reproduire pendant toute l’enfance. À la crèche, il y a souvent une professionnelle pour 7 enfants. Comment respecter les besoins de l’enfant (son sommeil, d’être changé, d’être nourri) dans la mesure où on a 7 en même temps à sa charge ? Et s’occuper de 7 enfants est une situation idéale où la collègue n’est pas malade, où il n’y a pas de pénurie de personnel. Ce n’est jamais un désir de mal faire les choses. Mais les conditions de travail du personnel de la santé et de l’éducation ne correspondent pas à un petit être humain.

En quarante ans, on est parti sur des paradigmes différents. À un moment on estimait qu’un enfant était bien éduqué s’il tournait droit, s’il grandissait bien et s’il avait de bons résultats scolaires. Maintenant, on estime qu’un enfant va bien quand il est libre, heureux et pleinement épanoui. Forcément il y a un gap énorme pour les parents. “Pourquoi mon enfant a le droit d’être libre, alors que quand j’étais petit je devais être sage ?”. Ce sont ces réflexes qui rendent la parentalité plus complexe. Reconnaître et guérir leurs propres blessures est un énorme coût pour les parents d’aujourd’hui. Être accompagné aide souvent à améliorer le climat familial, apporte à leurs enfants une meilleure scolarité, réduit le temps malade des parents… L'État a vraiment intérêt à y investir !

Devrions-nous d'abord nous occuper de notre propre histoire avant de chercher à comprendre les comportements de nos enfants ?

Totalement. Pendant de longs moments j’apprends au parent à prendre soin de lui. C’est comme dans un avion où on vous dit de mettre le masque d’oxygène sur vous avant de vous occuper de votre enfant. Parce que votre enfant ne peut pas survivre si vous ne survivez pas. Si vous n’allez pas bien, votre enfant ne pourra pas aller bien. Dans mes ateliers, on prend un long moment à réapprendre les besoins principaux du parent. Je ne veux pas dire que la parentalité est facile, mais elle peut être plus douce où il est possible de sentir les moments de plaisir au lieu de cette charge énorme sur vos épaules.

Quel rôle joue la santé du couple dans une famille ?

Il y a des couples qui en image vont très bien. Mais en profondeur pas du tout. Au-delà du couple, il y a le système de la famille qui fonctionne. Si ce système est défaillant, quelqu'un de ce système va essayer de voir le problème et de le résoudre. Mais d’abord on rencontre des symptômes : un enfant trop agité à l’école parce que c’est son seul moyen d'exprimer que le système est défaillant. Des fois le couple peut aller bien, mais c’est dans le système de la famille où ça ne va pas.

Chaque parent apporte aussi les expériences de son propre système familial et le reproduit. Prendre soin de son couple est très important, mais prendre soin de soi l’est encore plus. Même sans être en couple, s’occuper de soi et de sa propre histoire signifie prendre soin de ses enfants.

Le lâcher prise au quotidien (ne pas s'énerver sur une maison pas rangée, le linge qui déborde ou le bonbon de trop que l'enfant aurait mangé...) est-il vraiment la solution à une vie familiale plus apaisée ? Ou devrions-nous nous tenir à nos principes et nos idées dans l'éducation des enfants ?

Le lâcher prise en général ne fonctionne pas quand ça vous coûte. Exemple : faire les carreaux. Y’a t’il un point vital la-dessus ? Derrière chaque croyance qu’on a (“mes carreaux devraient être propres”), la question que vous devriez vous poser est la suivante : Qui vous a dit que vous devriez faire vos carreaux une fois par semaine ?

Les réponses sont souvent “c’était ma maman, mon papa, j’ai vu ça sur Instagram”... La vraie question est ce qui se passe pour vous. Si votre maison n’est pas rangée, qu’est-ce qui se passe pour vous et qu’est-ce que cela vous procure ? Est-ce que j’ai peur plus tard que mes enfants ne savent pas ranger chez eux ? Est-ce que j’ai peur de l’image que je renvoie ? Une fois que vous avez répondu à ces questions, vous pouvez décider si cela vaut la peine de lâcher prise ou pas.

Quand on commence à chercher dans son histoire de vie, on va comprendre d’où viennent tous ces dictats. À ce moment-là on peut voir ce qui est vraiment important et ce qu'on peut lâcher. Il s’agît de faire avec ses propres besoins, ceux des autres et ceux des enfants et de voir comment on peut concilier tous les besoins.

Sur quoi vais-je lâcher parce que cela me fait du bien ? C’est un chemin personnel de comprendre comment concilier les besoins de chaque membre de la famille.

Il s’agit également de prendre la mesure avec quel genre de recommandation on est d’accord ou pas (comme pas d’écran avant 3 ans, moins à 6 ans et pas de réseaux sociaux avant 12 ans).

On sait que les écrans ont un effet antalgique sur les bébés et que regarder une petite comptine pendant une prise de sang peut être bénéfique pour eux. Certes, il y a des recommandations, mais c’est moi qui fait mon choix en conséquence.

Et c’est cela la parentalité. Comment puis-je trouver un juste milieu pour que cela se passe bien ?

Malheureusement, il n’y a pas de recette pour cela, même si dans les années 70, on donnait aux mamans un listing à la sortie de la maternité avec un planning des horaires de biberons et de siestes.

Pour être un parent épanoui et un enfant pleinement heureux il faudrait un bon réseau, un beau village autour de vous : des amis, de la famille, des gens avec lesquels on peut vraiment partager des choses. Il est précieux de se sentir soutenu et pas jugé.

Idéalement on arrive à faire un point sur l’histoire avec nos propres parents qui ont fait de leur mieux, mais nous devrions être libres de donner à nos enfants le meilleur de nous aujourd’hui.

La parentalité devient plus légère et facile si on sait où trouver ce soutien et une fois qu’on a fait le tri de toutes les informations qu’on accueille avec du recul et qu’on a remis en question les fonctionnements avec lesquels on n’est pas d’accord. Se questionner à nouveau où et pourquoi on a appris certaines choses nous aide à voir si on y trouve un vrai sens ou si on les fait juste parce qu’on a toujours réagi ainsi. Et si quelque chose a un réel sens et une importance pour nous, c’est tout à fait légitime d’y tenir.

Il ne faut pas oublier non plus notre âge parental. Souvent, malgré leur âge, les parents n'ont que quelques mois d’expérience dans leur nouveau rôle et il ne faut jamais oublier d’être indulgent avec soi-même. Nous apprenons en même temps que nos enfants !

L'âge moyen du premier enfant d'une femme est de 31 ans. Diriez-vous que nous sommes moins prêts à changer notre vie pour l'arrivée d'un enfant ? D'où pensez-vous que vient cette difficulté de s'adapter à cette nouvelle vie de famille qui se présente à nous ?

La vraie question est : Est-ce qu’il y a besoin d’adapter notre vie ? Est-ce que réellement on ne peut pas continuer à sortir ou à voyager ? Cela ne dépend pas forcément des enfants. Pour mon premier enfant, je me suis beaucoup plus adaptée à lui, pour le deuxième je n’ai rien changé du tout.

Ce qui compte le plus c’est de continuer à s’occuper de ses vrais besoins. Prendre soin des ses propres besoins et ceux des enfants n’est pas incompatible. Vous pouvez continuer à sortir chez vos amis et vous prévoyez un petit matelas pour la sieste ou le nécessaire pour que le besoin de l’enfant soit aussi respecté. Je ne suis pas sûre si c’est une question d’âge.

Concilier ses propres besoins, ceux du couple et de ce petit être est forcément compliqué. On devrait ici s’interroger sur une chose : Qu’est-ce qui est le plus salvateur pour le couple ? Emmener l’enfant chez les amis, même si l’enfant est un peu chamboulé, mais il finira quand même par s’endormir parce qu’il a été rassuré ou se dire en permanence qu’on a mis sa propre vie à l’arrêt ? Quel est le bénéfice et quel est le risque et comment puis-je concilier les besoins de tout le monde.

C’est un véritable sport !

Un grand merci, Aurore ! ***

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