Chiner, une passion - Interview avec Mathilde Vincelot, Des Petites Occasions.
Mathilde Vincelot a le sens du beau et de la consommation responsable. Animée par le plaisir de chiner, elle a créé un endroit où elle propose une sélection de ses trouvailles - des vraies pépites à un prix abordable. Elle m’a raconté pourquoi elle tient à l’idée d’une entreprise entièrement éco-responsable et rappelle que malgré tout l’amour pour l’ancien, une assiette reste un objet pratique du quotidien. Rencontre humaine et très sympathique.
Comment est née Des Petites Occasions ?
Mon histoire avec la chine a commencé dans de petites boutiques parisiennes à une époque où ce n’était pas encore à la mode. Je chinais avec grand plaisir de petits objets par-ci par-là, sans budget important, presque quotidiennement. Mon appartement n’était pas assez grand, ce qui m’a amené à l’idée de vendre quelques objets. Après le Covid, nous avons déménagé à la campagne où j’ai gardé l’habitude de consommer d’occasion, tant pour l’aspect écologique que pour l’aspect économique. J’ai vendu mes trouvailles pour la première fois après la naissance de mon deuxième enfant, même si je n’étais pas encore présente sur les réseaux sociaux. Étant d’une nature très discrète, je ne me suis pas sentie à l’aise pour lancer ma brocante. Je n’étais même pas inscrite sur Facebook, tellement je me sentais éloignée des réseaux sociaux. Tout a commencé alors avec une petite page Instagram, presque clandestinement, et avec une légère peur de l’échec.
Au début, je me suis concentrée uniquement sur la présentation de quelques objets, sans mentionner qu’ils étaient en vente. Tout était basé sur mon petit plaisir ! Comme mes enfants étaient rapprochés avec 18 mois d’écart, chercher un travail ne faisait pas partie de mes projets du moment. Mais l’idée d’avoir une petite activité à moi m’a souvent traversé l’esprit. Avec mes deux bébés sous les bras, les premières demandes sont arrivées sur Vinted ainsi que sur leboncoin. Une fois mon propre site créé avec l’aide d’une amie - elle m’a donné beaucoup d’impulsion - tout est devenu officiellement professionnel. Des Petites Occasions a vu le jour !
© Des Petites Occasions
Où trouvez-vous les objets ?
Dans ma région il y a beaucoup de boutiques comme Emmaüs ainsi que des associations de revente, comme le Secours Populaire, Secours Catholique, Les Ressourceries, Agir ou les magasins comme Troc.com. Chaque région a ses diverses opportunités. Il faut oser chercher, même aux endroits inhabituels. J’adore également me rendre aux brocantes le week-end, bien que ce ne soit pas toujours compatible avec mon mode de vie et mes enfants. S’y balader est un de mes plus grands plaisirs.
“J’ai une sorte d’empathie pour les objets. Si je les abandonne, cela me procure de la peine.”
Emmaüs ouvre souvent le grand débat. Certains pensent que l’endroit invite à “voler” des objets aux personnes modestes. Personnellement, je ne partage pas cet avis puisque Emmaüs n’a pas été créé dans le but d’offrir un pouvoir d’achat (que les gens n’ont pas), mais pour créer de l’emploi. Les objets qui ont un certain intérêt pour ma brocante sont généralement donnés par les habitants de ma région.
J’ai une sorte d’empathie pour les objets. Si je les abandonne, cela me procure de la peine. C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai créé ma brocante. J’ai souvent trouvé de superbes objets, mais j'ai manqué de place pour les garder. Parfois j’aime simplement un objet, mais s’il ne correspond pas à mon intérieur, je pense ainsi à la décoration chez les autres.
© Des Petites Occasions
Pour Des Petites Occasions, je pars à la chine toutes les semaines (les mercredis avec les enfants) et parfois en ligne (Vinted). J’essaie d’agir de manière éco-responsable. Me faire livrer un seul verre pour assembler un ensemble ne fait pas partie de mon but. J’attends de trouver un objet qui correspond ou je vends un lot incomplet. Il m’est important de chiner autour de moi, sans frais kilométriques supplémentaires.
La décoration ainsi que tous les objets du quotidien devraient garder un sens utile. Acheter un petit bol à 35 Euros, même s’il est d’une qualité extraordinaire, dépasse mon budget. On le manipule au quotidien, on le met au lave-vaisselle. Si on le casse, il y aura trop de peine. Les prix de ma brocante sont basés sur cette idée-là : Rester abordable.
“J’ai l’impression que petit à petit, à cause des réseaux sociaux on s’est un peu éloignés de nous-mêmes, de nos goûts, de nos choix.”
Chiner semble être la tendance du moment. Comment réussir une décoration personnelle et originale sans copier les comptes Instagram ni faire comme tout le monde ? Qu’est-ce qui vous inspire personnellement ?
En ce qui concerne l’inspiration, je me suis faite une réflexion : J’ai l’impression que petit à petit, à cause des réseaux sociaux on s’est un peu éloignés de nous-mêmes, de nos goûts, de nos choix. Quand nous parlons d'inspiration, nous puisons dans un livre de décoration, sur Pinterest ou Instagram. C’est un peu comme si nous nous éloignions du plus profond de notre âme et de ce qui nous fait du bien. Même si je ne fais pas partie des admiratrices de Marie Kondo, je trouve son propos de nous demander si un objet nous procure de la joie profondément juste. Instagram et Pinterest nous poussent à l’imitation et à la copie.
“Nous devions plutôt essayer de nous poser, de nous questionner sur ce que nous aimons. La chine y est particulièrement favorable, puisque les objets sont présentés d’une manière brute.”
Souvent, nous voyons quelque chose de nouveau sur les réseaux sociaux, notre cerveau produit de l’adrénaline, mais une fois l’objet installé chez nous, nous découvrons que finalement il ne correspond pas du tout à notre style - Qu’il s'agisse de la décoration ou de la mode. Cela me fait de la peine, car on risque petit à petit de perdre notre âme, notre personnalité.
Nous devrions plutôt essayer de nous poser, de nous questionner sur ce que nous aimons. La chine y est particulièrement favorable, puisque les objets sont présentés d’une manière brute. Se demander si on aime vraiment quelque chose est un bel exercice. Au-delà de Marie Kondo, de nombreux philosophes ont écrit sur le sujet, comme Saint Ignace de Loyola à propos du discernement. Selon lui, être sur la bonne voie consiste à être dans la joie et à trouver ce qui nous apporte la paix intérieure. Loyola pensait aux actions, mais moi je le traduis aussi souvent dans mon intérieur. Nous pouvons ainsi éviter les regrets, et dès que l'œil passe devant un objet, nous pouvons être sûrs que c’est nous-mêmes qui l’avons choisi. Cela nous procure de la joie. Cette manière de penser va contribuer à la création d’un intérieur qui nous plaît, et qui nous ressemble.
© Des Petites Occasions
Je comprends parfaitement ce besoin de chercher l’inspiration. Instagram peut aussi m’inspirer de temps en temps, mais, je ne vais pas passer à l’achat parce que j’y ai vu quelque chose. Une idée se présente à moi, me nourrit, ouvre mon œil et au moment où je pars à la chine, mon œil sera plus sensible à une couleur que j’aurai vue…
D’une personnalité très créative, je n’arrive pas à me mettre à la place de ceux qui pensent manquer de sens pour le beau. Mais je suis persuadée que cela se travaille et que c’est possible de sortir de la copie. Parfois, se déconnecter d’Instagram peut être intéressant. Je recommande de regarder des magazines de décoration pour s’ ouvrir l'œil ou bien écouter des podcasts où l’algorithme est moins en jeu.
Comment assembler des objets anciens sans que cela paraisse trop « vieillot » ?
Tout est une question d’intégration de l'objet dans l’espace. Même un papier peint fleuri avec des papillons n’est pas forcément vieillot ou girly. Il ne faudrait pas installer un vieux cadre avec des fleurs mais plutôt rajouter des petites touches.
Avec la chine et la brocante la peur du vieux va souvent de pair. Par conséquent, l’ajout d’un élément contemporain semble être la solution pour éviter un style trop vieillot. Ce n’est peut-être pas faux, mais un peu trop facile à mon avis. Personnellement, je ne possède rien de contemporain. Je recommande de rester un peu plus neutre, comme nous l’avons fait avec une ancienne bibliothèque pour y installer notre vaisselle. Ceci a fait que ma vaisselle s’est un peu simplifiée. Une vaisselle multicolore aurait visuellement “dérangé”.
© Des Petites Occasions
Il ne faut pas avoir peur de changer régulièrement les choses. C’est ce qui me plaît le plus dans le seconde-main. On n’a pas à dépenser une grande somme pour une assiette ! La chine représente tout le contraire de la fast-fashion puisque rien n’a été produit. En redonnant une assiette à Emmaüs, tout reste dans une économie circulaire. C’est ainsi que je vois la consommation. Je ne suis pas contre le fait de passer d’une mode à une autre, d’être un peu influencée, d’avoir envie de couleur, puis d’avoir à nouveau envie de blanc… Je ne suis pas contre le plaisir, mais il faudrait à nouveau se poser des questions et garder une certaine harmonie dans tout ce qu’on possède.
Pour créer cette harmonie, je me dirige vers des objets qui paraissent simples, mais qui sont d’une très belle qualité : Des verres à jus que je n’utilise pas souvent, mais quand je les pose sur la table, cela me procure un grand plaisir. En même temps, je ne panique pas si jamais on les casse. Ils sont simples et ils vont avec tout !
“Un des premiers plaisirs que j’ai découvert c’est de construire petit à petit, comme un petit écureuil.“
Comment dresser une table avec de la vaisselle ancienne et dépareillée pour qu’elle soit harmonieuse ?
Aujourd’hui, je ne possède que deux modèles d’assiettes, contrairement à l’époque où j'utilisais un assortiment en terre de fer dépareillé que j’aimais beaucoup. Je m’y retrouve aussi dans la simplicité du blanc, comme j’ose en sortir pour jouer avec des couleurs et des nappes, des bougies ou des fleurs. Quand je reçois, je prends plaisir à chercher de la vaisselle dans ma propre brocante et je profite des objets avant de les revendre.
J’aime me concentrer soit sur une couleur, soit sur un thème comme les fleurs. Une fois qu’on s’est décidé sur une base, c’est plus facile de jouer avec les objets. Si on a envie d’une décoration dépareillée, on trouve facilement dans la chine une petite assiette à ajouter - C’est ce que j’aime particulièrement dans la chine !
Un des premiers plaisirs que j’ai découvert c’est de construire petit à petit, comme un petit écureuil. Réaliser que tout a été trouvé par moi-même, c’est ce qui m’impressionne le plus dans ma maison. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle la brocante s’est démocratisée. On sort du gros achat en lot. Néanmoins, je sais aussi que ma façon de consommer reste de la consommation. On pourrait facilement m’identifier comme une personne minimaliste. Ce n’est pas le cas. J’aime trouver des objets, et c’est difficile pour moi de laisser un objet que je trouve beau. J’aime mes petites trouvailles, mes pépites. J’ai aussi la chance de pouvoir les garder. Et si je n’ai pas de place, il y a aussi un petit coin chez moi d’“objets à offrir”...
Un grand merci, Mathilde !